Dix-Septième Paradoxe

C’est alors, l’esprit vide et l’amertume collée au palais, qu’elle m’a appelé. Elle. La Grande. Je brassais une dernière fois le paquet de cartes puis le rangea, mon ombre me dépouillait de toute façon. Je fourrais le même vieux livre dans ma poche, me versais une grande tasse de thé encore bouillante, et sorti sans un regard en arrière. Trop longtemps que ces murs me retiennent prisonnier, et que de trop vives lumières m’éblouissent.

Je sortis donc, le mégot collé aux lèvres, et longeant d’aléatoires allées je me perdis bien vite dans l’infini dédale qui s’offrait à moi, sans lune pour me guider. Le froid, carnassier, picorait et se régalait de chaque parcelle de ma peau, tandis que des brasiers liquides et vaporeux s’infiltraient en mon corps. Le vagabondage nocturne idéal. C’est une ruelle déserte et son unique lampion qui attira mon attention, et je pus m’asseoir sous son couvert pour y puiser la sagesse de quelques pages encore trop peu abrasée. Les rares passants continuent leur route sans faire attention au Nightcrawer. De toute façon, ils n’existent plus désormais, il ne reste plus que le thé fumant qui lentement s’écoule, la faible lumière du lampadaire solitaire, la noirceur du ciel et les mots qui un à un s’encrent en mon esprit.
C’est la chair dévorée par le froid que je finis par me relever, et lentement pris une route qui me mènerait irrémédiablement dans mon antre, la tasse vide mais la tête remplie de nouveaux songes, s’entrechoquants, s’embrasants, s’envolants, sans rencontrer quelconque limite. Les idées, reflexions, souvenirs et autres vacarmes mentaux ne forment ainsi qu’une seule et même unité disparate, s’animant en une merveilleuse et chaotique symphonie.

A peine fus-je rentré que je rempli de nouveau mon godet, celui-là même qui m’a suivi lors de mes pérégrinations. Ainsi est-il aussi plein et fumant que ma cervelle.
Il est à présent 01:03, et mon seul souhait est que vous puissiez goûter aux flux qui me traversent, vivre et ressentir les rêveries éphémères qui à la fois chacune leur tours et toutes ensembles naissent et meurent ma coquille de tête. Mais je ne peux vous y forcer, et mes mots sont bien pauvres face à tout cela. Tout ce que je peux faire pour l’instant est de vous souhaiter, même si vous n’y êtes pas étrangers, le bonjour à tous.

Seizième Danse

Dix mois. Dix putain de mois d’hibernation forcée. Dix mois que je résiste tant bien que mal contre l’envie d’errer sous l’arche lunaire, qu’aucun thé n’est venu me brûler les entrailles, qu’aucun de mes os ne peut trembler sous la tutelle d’un vent glacial. Avec le soleil comme seul compagnon, éreintant et écrasant, au sommet de son apogée, tentant d’effacer toute trace du Nightcrawler de par sa lumière suffocante.
Mais les nuages, d’un gris uniforme et par plaques entières, viennent enfin recouvrir le bleu surréel du ciel, et nous soulage de par sa couleur et sa tessiture, ainsi bien moins arrogante et plus vivable. Les rêves dans lesquels je me cache chaque nuit peuvent lentement refaire surface, et se mêler à l’inconfort passager des jours trop longs.

L’appel nocturne ne s’en fait que d’autant plus fort, et c’est en cette nuit que tel un rituel de passage, un accueil nouveau, l’obscurité rouvre ses portes en mon cerveau bouillonnant. Changeant mes yeux en un vaisseau incongru, recouvrant l’interstice entre ma peau et mon crâne, s’insinuant dans chaque nervure, dans chacune de mes veines. Et c’est presque inconsciemment que je pose le diamant sur les sillons de la matière noire, déclenchant le meilleur des catalyseurs.
Comme à son habitude la fenêtre s’ouvre sur les plus vieilles réminiscences, qui glissent sur ma peau et mes pensées, pour s’en aller au loin. Je reste ainsi un moment, face aux quelques étoiles émergentes, cherchant une lune absente le temps que le grand dehors s’insinue dans la pièce.
Un frisson le long de ma nuque. Il est temps. Temps de se retourner, et commencer lentement à errer dans la nuit qui s’est emparé de mon habitat. Un pas, deux pas. La faible lueur me permet juste de voir, par dégradé de teintes, le sol sous mes pieds, et mes mains bafouant lentement l’air qui m’entoure. Comme souvent, le troisième pas n’arrive pas, il n’est pas nécessaire. Le frisson me soulève et me laisse m’envoler, me recroqueviller, et me hisse par dessus les toits de la pensée silencieuse, le long des pavés de la pensée voyageuse; m’infiltre dans ses lézardes, ses gouffres miniatures et sans fonds, avec le même rythme absurde qui martèle mes tympans, laissant mes membres à l’abandon d’une transe étrange et dérisoire, sillonnant l’air au ralenti.
Le temps se prélasse derrière mes yeux, et je l’étire de tout son long, si bien que je cru passer des heures à me mouvoir, à l’instinct, à moitié conscient, dans l’espace confiné de mon propre corps.

Le Nightcrawler est maintenant de retour. Enfin peut-il de nouveau s’éveiller, s’épanouir. Enfin peut-il de nouveau s’émerveiller et parcourir les vastes contrées nocturnes qui l’entourent.
Après cet éveil, cette renaissance, le son fini lentement par s’évader, ma masse entière par s’écraser contre le sol.
Les quelques dernières notes résonnent encore en moi en un larsen infini.
Et c’est, épuisé, qu’enfin mes paupières s’affaissent. Alors que je ressens plus que jamais le poids de mon propre corps sur ce sol dur et froid, un abîme m’attend, une vaste cavité où repose le lac fait de mes songes, dans lequel je peux enfin me noyer.
Aller, bonjour à tous.

Quatrième Différence

En voilà une nuit des plus singulières, tout d’abord très courte, comme je le disais la dernière fois, il m’a fallu affronter la journée. Elle ne fut pas harassante, mais comme prévu, fatigante. Le sommeil m’emporta alors que la nuit battait son plein, aucune lumière ne venait encore à poindre du fond des quelques bâtisses plombant la vue que j’aurai pu avoir de ma fenêtre. De mes fenêtres en réalité. Deux pièces, qui cette nuit se voyaient affligées d’un destin opposé.
L’une, fraîche, sombre, paisible, quelques casseroles pleines d’eau glacée qui trainaient. Quand à l’autre, moins tranquille, toute machine en marche, dans un chahut de bruits et de lumières que je ne savais choisir allumées ou éteintes. Un vieil ami aurait sûrement appelé ça une forge de soubresauts. A y réfléchir, c’en était assez proche. Et c’est là que j’étais, comme souvent.
Les deux cuillères n’y était plus. Pas de thé pour moi ce soir, c’est un verre d’eau presque trop fraîche qui m’accompagnai, que je venais remplir à même les casseroles. Quitte à ne pas pouvoir manger, autant boire.

On dit qu’il est bon de prendre un peu de recul. Pas cette fois. Il devait être dans les alentours de 4h lorsque j’aurai dû écrire ces mots. Mais la force manquait et je me devais de dormir. Une courte nuit pour un long sommeil.  Ce n’est donc que maintenant que je peux parapher ce maigre écrit, et l’offrir en pâture à vos yeux cette fois bien éveilles, et même s’il est désormais un peu tard pour ça.. Bonjour à tous.